interviews


2020-05 Cyclopean Sea Lions from Hyperborea Flying Above the Abyss of Time Fanzine

I / Salut ! De prime abord je tiens à te remercier pour ton intérêt porté au fanzine, la place d’Aluk Todolo est complémentaire au milieu de ce désordre organisé. Aluk Todolo se forme selon les sources officielles en 2004 et le premier est édité en 2006 via Public Guilt (USA), quelle énergie vous a réunie sous ce trio ? Quelle était la voie que vous vouliez tracer au commencement ? Le line-up est resté inchangé depuis, et humainement je trouve ça incroyable, comment entrevois-tu cette symbiose avec tes acolytes ?

Antoine Hadjioannou : Bonjour et merci pour ton intérêt porté a notre groupe. Nous somme flattés d’être complémentaires a ton fanzine. Lorsque le groupe s'est formé, nous ne sommes pas posé de question, les choses se sont mises en place de manière instinctive. L'énergie qui nous a réunie était celle d'Aluk Todolo, naturellement. En l'an 2004 certaines règles se sont imposées a nous en même temps que la musique, et ces règles furent ressenties avant d’être rationalisées. Parler de cela a tendance a embrouiller les choses plutôt qu'a les éclaircir, pourtant notre processus est simplissime: nous sommes au service de la musique. Le line-up ne peut pas changer, car la musique d'Aluk Todolo se manifeste a travers nous trois exclusivement, c'est aussi simple que cela. On pourrait dire que le "portail" s'ouvre quand nos trois vibrations s'équilibrent et entrent en résonance. Et paradoxalement, cette musique nous demande de faire abstraction de nous même, de s'effacer derrière les forces que nous canalisons. Envisagé depuis ce point de vue "médiumnique" le facteur humain n'est pas très important, c'est peut être ce qui explique notre longévité! Et puis c'est tout de même un peu moins incroyable que ZZ Top.

II / Tu auras je pense partiellement répondu à cette question dans la précédente, mais Aluk Todolo n’existe-t-il pas à travers quelque chose qui transcende la chose musicale ? Du logo, au contenu musical en passant par l’esthétique et les représentations scéniques, tout parait appartenir à un ensemble parfaitement homogène, quel genre de langage parle cette entité ? Provient-il de notre système solaire ?

AH: C'est plutôt la chose musicale qui transcende le reste, dans le sens ou tous les éléments extra musicaux sont une transposition de la musique sur d'autres plans, d'où, je suppose, l’homogénéité que tu as perçue. Le langage est la musique, et la musique est la source. Quant à la localiser dans l'espace, est-ce possible? Et nécessaire? Je dirais quelque part entre Orion et mon lobe temporal gauche.

III / Le choix du nom est emprunt d’un certain tribalisme, ici précisément il désigne une formule animiste indonésienne de Sulawesi, es-tu rattaché de près ou de loin à cette région du Monde ? Le panthéon des différents cultes indonésiens est extrêmement vaste, de nombreuses représentations et au moins davantage de traditions, dans quel manuscrit Aluk Todolo vient puiser sa sorcellerie ?

AH: Voici ce qu'il faut savoir a ce propos : premièrement, nous ne cherchions pas de nom, c'est le nom qui a donné naissance au groupe. C'est Matthieu Canaguier ( basse) qui l'a rapporté d'un voyage en Indonésie, et le groupe s'est formé a l'instant ou il m' a prononcé ces 5 syllabes. Deuxièmement, le groupe Aluk Todolo n''illustre pas musicalement Aluk Todolo la religion...ce qui n'exclue pas forcément l'influence de Pong Lalondong, par exemple, puisque notre système est pour le moins syncrétique, mais il y a quelque chose de "romantique" dans la façon dont nous nous envisageons le nom de notre groupe. Car, troisièmement, et c'est le plus important : Aluk Todolo signifie " la voie des ancêtres". Je suis désolé, mais il n'y a pas de manuscrit ou grimoire magique qui contiendrait tous les préceptes qui dirigent notre quête musicale. Chaque jour qui passe nous offre cependant de nouvelles manières de comprendre pourquoi ce nom est le notre.

IV / La dimension tribale est très présente dans vos compositions, en particulier sous sa forme rituelle, il y a-t-il un réel état de transe quand vous composez ? L’album « Occult rock » ne renferme-t-il pas un parcours initiatique ? Les influences Krautrock viennent renforcer cette hypnose sonore, quels sont les groupes que tu relèves le plus dans cette scène aujourd’hui ? Comment définirais-tu votre auto-désignation stylistique de « Occult rock » en une seule phrase ?

AH : Pour nous la transe est a la fois un moyen et une fin, de même que la musique est l'évocation et la manifestation. Le parcours initiatique d'Occult Rock est celui de la transformation alchimique de la vibration primordiale en la matière, à travers ses phases élémentales dans l'ordre de leur manifestation: le feu, l'eau, l'air et la terre. La répétition permet l'hypnose et cette technique est employée par bon nombre de groupes de krautrock, ou de rock psychédélique en général... Plutôt que d'influences je préfère parler de confluences. Disons qu'une certaine méthode dans la recherche artistique donne logiquement des manifestations sensiblement similaires. Un de mes albums de chevet est le Sergius Golowin, Lord Krishna Von Golocka, avec Klaus Schulze et Witthuser & Westrupp. Un disque magique, s'il en est, une musique qui frôle l'apesanteur! En une phrase : notre Occult Rock est une exploration musicale des pouvoirs secrets de l'esprit et du cosmos, par l'utilisation des instruments de rock traditionnels, guitare, basse et batterie.

V / Au milieu du paysage artistique underground Aluk Todolo avance tel un gros nuage noir au milieu d’un ciel blanc, cela semble défier le temps, apportes-tu un regard particulier au concept de Kali Yuga ? Les arts n’ont jamais étaient aussi marqués par leur pluralité et leur richesse, notre époque n’est pas celle de la catharsis ? « Le Temps détruit tout » (Gaspar Noé), mais est-ce que l’art n’est pas finalement ce lieu intemporel ?

AH : Je ne sais pas si mon regard sur l’ère du Kali Yuga est particulier. Je ne suis pas métaphysicien, j'ai lu Guénon et Evola en long et en large, et je n'ai rien a rajouter, mais je trouve qu'on élude trop souvent ce point essentiel : l'age sombre est une phase qui s'inscrit dans une vision du temps cyclique, il est donc absolument nécessaire, et s’intègre harmonieusement au processus cosmologique. Je vois bien ce que tu essaies de me faire dire à propos de la catharsis, mais je ne le dirais pas! Je me méfie de ce concept nébuleux et ambigu, qui est devenu un terme fourre-tout et trop souvent une justification du pathos et de la médiocrité. Je ne vais pas m'arracher le cerveau a définir la catharsis, mais je voudrais quand même rappeler qu'a l'origine elle concerne le spectateur et pas l'artiste. Dans le Kali Yuga, l'inversion des valeurs prend des formes complexes et fascinantes, qui incitent à l'analyse visant à la déjouer, et mobilisent l'intellect et le corps de manière pernicieuse, par effet de ramification, éloignant encore l'homme des Dieux. La "pluralité" et la "richesse"des arts est pour moi symptomatique de cet age: c'est le règne de la quantité! La catharsis, ou du moins une certaine forme de catharsis, s'y déploie comme le moteur et la finalité de la création artistique. Dans ce sens notre époque est bien celle de la catharsis, mais il n'y a pas de quoi se réjouir pour autant. Si la catharsis est une purgation, en faire un but, c'est de l'émétophilie. C'est prendre la vésicule biliaire pour une lanterne! Si c'est une thérapie, alors elle résume l'art à une expression personnelle, égocentrique, un apitoiement masturbatoire, séparé des forces cosmiques. S'il faut être malade pour créer, alors il n'y a plus de maîtres. Moi, quand j'entends le mot catharsis je sors mon pistolet! Ceci étant dit, Occult Rock I est un morceau cathartique, mais premièrement c'est une étape qui n'a de sens que mise en contexte avec le reste de l'album, et deuxièmement, il s'agit d'une catharsis ésotérique, d'où l'émotion est absente. La catharsis moderne, c'est le royaume du "je". Dans Aluk Todolo, le "je" n'existe pas, le temps construit tout, l'art n'est ni un lieu, ni pluriel, ni une purge, ni une thérapie, et le vrai secret c'est que l'éternité se trouve dans l'instant.

VI / Paul Virilio avait pour réflexion principale le rapport entre l’homme et la vitesse et sa vision de l’évolution de nos sociétés était portée par l’idée de la concentration des données, le flux constant à « vitesse contrôlée » comme pouls cardiaque de toute chose à l’ère « cinétique ». Est-ce que pour toi créer, sortir de la dynamique de la « machine-Monde », est un acte de résilience ou de résistance ? Quel regard portes-tu sur l’état du Monde en son sens écologique ? Un avis sur l’écologie alternative (Décroissance, Attac,…) ?

AH : Je ne connais pas assez les travaux de Paul Virilio pour répondre convenablement à ta question, mais je vais quand même essayer. L’instantanéité de la transmission de l'information sépare le but du chemin, ce qui est bien malheureux. Exemple: Je cherche le nom d'une plante. En utilisant une application sur mon smartphone, je trouve ce nom en une seconde. Une minute après, je l'ai oublié. En utilisant le livre de Bonnier je prend une heure pour trouver ce nom, heure pendant laquelle j'ai observé la plante sous toutes ses coutures. Je me souviendrai de son nom pour toujours, car il a désormais un sens pour moi. Pas étonnant que nous nous soyons naturellement mis à employer une technologie exclusivement analogique. Mais! Confronter l'acte créatif à la "machine-Monde" définit d'emblée l'artiste comme un révolté contre le monde moderne. Or, ce constat est postérieur à notre impulsion primordiale, dans laquelle Il n'y a pas d’antagonisme entre résilience et la résistance. A quoi sert la clef, s'il n'y a pas de serrure? D'ailleurs, originellement, la résilience définit la résistance d'un matériau aux chocs. BOUM! Dans Aluk Todolo l'écologie consiste simplement à ne pas gaspiller l’énergie.

VII / On l’a vue précédemment, les influences vont puiser dans des registres lointains, et ce avec une forte emprunte Black Metal, qu’est-ce qui t’attire dans cette scène aujourd’hui ? Les différentes métamorphoses musicales vous ont mêmes conduit à partager une sortie avec Der Blutharsch and the Church of the Leading Hand, groupe aux multiples facettes, peux-tu nous parler de l’histoire de cette sortie ?

AH : Je ne connais pas suffisamment le Black Metal d'aujourd'hui pour être attiré par cette scène, mais j'ai vu Sortilegia en concert au Funkenflug en 2016 sous un orage terrible, et c’était magnifique. La collaboration avec Der Blutharsch est le fruit de notre rencontre avec Albin Julius et ses sbires. Le processus fut compliqué car nous ne nous sommes jamais retrouvés dans le même studio. Cela dit, c'était un disque nécessaire, car Albin, en murmurant "I love you" a subconsciemment remis les morceaux d'Occult Rock, a l’époque en chantier, dans le bon ordre. L'Amour sous la Volonté! C'était pourtant simple...Merci Albin! Quant au résultat, c'est un petit trisomique très turbulent, mais très attachant.
VIII / Vos performances lives sont « sidérantes », de la mise en scène à l’énergie dégagée, on arriverai presque à vivre une réelle projection astrale. Quel est le lieu dans lequel vous avez été les plus « connectés » à votre musique, mais aussi à votre environnement et au public présent ? Que symbolise cette ampoule perchée au milieu de la scène ? Je me rappel t’avoir comparé après un concert à Montpellier (Black Sheep) au personnage de « Bob » dans Twin Peaks de David Lynch, sur ce fanzine on est assez friands de son univers, que penses-tu de cette série ? Si Aluk Todolo devait être un film, lequel serait-il ?

Shantidas Riedacker : Quand je regarde dans un miroir, je vois moi aussi Bob. Je suis grand fan de Twin Peaks et j'ai d'ailleurs tenu la basse dans Blacklodge de 1999 à 2002. J'aime penser qu' aluk todolo n'a pas de dimension cinématographique, mais plutot spirituelle. Les lieux dans lesquels nous nous sommes sentis les plus connectés sont etrangement des lieux exterieurs, au Stella Natura en 2012 à proximité du Lake Tahoe aux Etats Unis ou Funkenflug MMXVI - Solstice Ceremony dans les montagnes Autrichiennes en 2016. Ces lieux etaient hors du temps et totalement transcendants. Les quelques concerts que nous avons eu l'honneur de donner dans des églises etaient fou, St Luke's à Glasgow en 2017, St Merry à Paris en 2016, St John à Londres en 2014.

IX / En rédigeant ces questions j’ai eu la surprise de découvrir que tu avais participé à un enregistrement avec BURIAL HEX (« The Night / Brighter than the Day ») drôle de coïncidence car il devait répondre à un interview sur ce fanzine, je veux bien que tu m’en dise plus sur ce mystérieux enregistrement et sur ce qui t’as fait collaborer avec ce dernier ! Tu as aussi un projet personnel qui se nomme SHANTIDAS, que représente-t-il pour toi ?
SR : Je suis grand fan de Burial Hex mais je n'ai pas participé à un enregistrement, seulement fait une pochette à la demande de Clay Ruby. Il s'agit de la pochette pour le 12 EP The Night / Brighter than the day. J'ai proposé 2 photos champètres prises à l'aube dont celle de couverture est passée en négatif (ceci étant donné le titre du disque) . J'ai rencontré Clay lorsque nous avons organisé un concert de Burial Hex à Paris avec Pharmakon en October 2011. La soirée etait un peu spécial, c'etait la première date de la tournée de Burial Hex , et la salle que nous avions reservé avait ete fermée par arrêt préféctoral pour tapage nocturne la veille, et nous n'avions pas été prévenu. C'est en se presentant à la salle le jour même que nous avons trouvé porte close. Nous avons déplacé le concert et le public dans une autre cave de bar. Finalement la soirée etait excellente et nous avons gardé contact, et partagé l'affiche avec Burial Hex du Mega Therion festival à Helsinki quelques semaines plus tard. http://www.amortout.com/frames/2011-10-19.htm
Et à propos de mon projet solo, Shantidas, et bien il me permet de faire des conneries qui n'engagent que moi, dans lesquelles je suis seul à croire. J'ai commencé par des concerts de pétards me mettant en péril, puis des symphonies son et lumière aux platines vinyle, et actuellement j'en suis au "requiem pour un caddie", toujours du danger et de l'absurdité.

X / Si, demain, l’Homme voit son monde tomber, que lui restera-t-il ?

AH : Si par "son monde" tu veux parler de la civilisation, je pense qu'elle est conçue précisément dans le but de séparer l'individu de son "humanité". La vraie question est donc : Si, demain l'homme voit son monde tomber, que lui manquera- t-il?

XI / Je te laisse donc clôturer cet entretien et nous parler de tes projets à venir, merci à toi.

AH : Eh bien nous travaillons sur notre prochain disque, qui devrait justement sortir pour la fin du monde. Merci à toi.